Fragment 5 : Histoire d'elle
" Histoire de vie en formation "
Université Paris VIII - 1991-92
Département Sciences de l'éducation
Fragment histoire d'Elle
essai V
Si l'O.A.S m'était contée
La guerre d'Algérie qui n'en est pas encore une. Les "événements" comme l'on dit à ce moment-là... Une petite fille de 4 ans qui n'a rien demandé à personne se trouve mêlée malgré elle à cette histoire d'en France... |
Silence en peur.
Mais tais-toi donc ! Chut ! Même pas mal...
Si j'ai mal !
S'il te plaît, rappelle-toi. 1962... Rappelle-toi ! Ose le dire, ose l'écrire.
NON ! NON ! Je ne peux pas.
Si ! Si ! Rappelle-toi. Il y a prescription, tu ne crains plus rien à présent, personne ne peut plus t'enfermer.
Tu es grande, tu es forte, n'est-ce pas !?
Non je ne suis pas grande. Non je ne suis pas forte. Mais je n'ai plus peur. Enfin, je crois. Mais j'ai un peu peur quand même...
Janvier 1962.
Isabeille a quatre ans et deux mois. Les événements font rages en France. Ca bouge tout le temps ! Il y a des armes, de drôle d'armes en forme de fusil et de pistolet et puis des grenades, aussi.
Comment le sait-elle !? Parce que, elle les observe de près, de très près, bien trop près pour une petite fille de quatre ans.
Son papa est béret rouge chez les paras. Ca, elle le sait ! Enfin, a peu près ! Elle voit surtout le petit chapeau rouge sur la tête avec son dessin sur le côté.
Aparté : Parachutiste (Paroles et Musique: Maxime Le Forestier 1971)
Tu avais juste dix-huit ans
Quand on t'a mis un béret rouge,
Quand on t'a dit : "Rentre dedans
Tout ce qui bouge."
C'est pas exprès qu' t'étais fasciste,
Parachutiste.
Alors, de combat en combat,
S'est formée ton intelligence.
Tu sais qu'il n'y a ici-bas
Que deux engeances :
Les gens bien et les terroristes,
Parachutiste.
Il fera l'Indochine, Dien Bien Phu au combat, il s'en rappellera avec plein d'obus en éclat dans la tête. Il en parlera un peu, parfois sur le tard. Mais où est-il pendant tout ce temps là !? Et tout ce qui est à venir ?
Et puis, il y a la guerre d'Algérie. Enfin presque ! Ce n'est pas encore une guerre. Ce sont "Les événements", comme ils disent...
La maman d'Isabeille est infirmière. Elle part soigner des gens pendant qu'Isabeille, elle, reste là en attendant bien sagementson retour. Dans la maison, il y a du va et vient souvent avec de drôles de gens. Chut ! tais-toi donc.
Isabeille reste dans sa chambre sans faire de bruit, elle tient dans sa main un drôle de jouet en métal lourd avec des petites billes autour.
Le discours ambiant est à la révolte. Révoltant. L'après guerre ne suffit pas à calmer le jeu des tourments. Il y a encore plein de conséquences dans la tête des gens. Ca tangue, la rancoeur a le mal de mer, ça fleure la haine en peau.
Le maréchal Pétain a ses fidèles réunis au coin du feu, à la veillée des armes à feu. Autour de lui, il fait bon se souvenir de faits historiques, de cette belle France colonialiste. Cette France qui aime tant se vêtir d'effets moralistes au parfum traditionnaliste.
1962. Cela pourrait être l'année de tous les combats réunis, l'exploit aux "Cinq colonnes à la Une". 1962, l'année des éclats de voix qui tonnent et détonnent en terre d'Algérie française. Algérie française ? Pour certains, oui ! Pas pour d'autres !
Vous êtes combien dans cette histoire d'en France ? Vous êtes combien à assouvir cette haine viscérale !?
Et moi dans tout ça, qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce que j'en sais de cette histoire de France ? J'ai quatre ans et, ... je suis en terre d'enfance, des mots s'élèvent dans le ciel et cherchent leur voie... Quelle voix ?
La famille s'accommode de ses idéaux. Les croyances sont des Reines toutes puissantes et les certitudes sont pleines de conviction. C'est l'heure de l'enracinement fatal qui s'abreuve au puits de l'horreur et se saoûle d'idées mal reçues. L'Algérie doit rester française ! Tous ceux qui s'opposeront à cet idéal mourront par les armes. C'est dit !
Il y a des déclarations qui font mal aux tripes de l'occupant, colon dans l'âme. Les accords d'Evian, après bien des négociations, sont signés le 18 mars 1962. Ils déclencherons une haine farouche contre le Général De Gaulle, considéré comme le grand responsable de la perte de l'Algérie française. L'organisation armée secrète, dites OAS, regroupe ses partisans et les nourrit de sa voix, au son d'un clairon sonnant "L'Algérie française". Sur les murs apparaît un slogan comme une litanie désespérée :
" L'Algérie est française et le restera ! "
Ces hommes armés, assassinent, posent des bombes, s'opposent par la violence à l'application des accords d'Evian et en plus, dissuadent les français d'Algérie de quitter le pays.
Dis maman ! Qu'est-ce que tu fais là !? Pourquoi ça bat la chamade en toi !? Pourquoi t'as mal au fond de toi ?
Le 22 août 1962 l'attentat. Quel attentat ? L'attentat quoi ! Charles De Gaulle est la cible. Un homme lève un journal. Trois hommes tirent à vue sur une DS au rond point du Petit Clamart. Vous êtes trois et l'homme au journal. Toute la France est en émoi. Ca rue dans les brancards ! Les barrages de police s'étalent sur toutes les routes de France.
La violence.
Dans la voiture il fait chaud, très chaud. Les fenêtres sont ouvertes. Isabeille est assise à l'avant sur les genoux de..., de qui ? Elle ne le sait pas. C'est la femme qui conduit le véhicule, une dauphine blanche. Comment vont-ils faire pour passer le barrage ?
Les voitures passent une par une. Les coffres sont ouverts. Les policiers se penchent pour regarder à l'intérieur. La fouille est minutieuse, rien ne semble épargné.
Mais que ce passe t-il !? Qu'est-ce que je fais là !?
La femme se met à hurler de toutes ses forces, elle interpelle les forces de l'ordre :
"- Aider-moi, ma fille est en train de mourir, vite, aidez mon mari, il essaye de la sauver..."
Une petite fille assise sur les genoux d'un homme quelle ne connaît pas. Les doigts de celui-ci enfoncés dans sa gorge. Une petite fille en train de vomir ses tripes. Une petite fille qui hurle de douleur.
La douleur.
Une petite fille qui n'en peut plus d'être une petite fille. La petite fille de...
Et un barrage de police à toute épreuve ouvre la voie.
Et les sirènes de police alarmantes se déclenchent.
Et des gentils messieurs qui vont aider la gentille maman à emmener la petite fille aux urgences de l'hôpital le plus proche.
Et le gentil papa, attentif, la tête penchée sur son enfant, se voile la face.
Le gentil papa avec sa petite fille, en apparence mourante, qui court tout ce qu'il peut pour sauver son enfant.
C'est beau ! C'est brave ! En voilà un père courage !
Chut ! Même pas mal... Tais-toi !
Les jours qui suivent se ressemblent. Il pleut quelque part des gouttes amères d'une pluie diluvienne. Du plus loin qu'ils s'en souviennent, les souvenirs font triste tête. La petite fille est malade, bien malade et le restera longtemps en faisant semblant.
En attendant, il y a la traditionnelle promenade dominicale au bois de Verrière, après la messe. On amène un grand panier de victuailles pour pique-niquer. Là, tout au fond du bois, il y a la maison forestière, toute de bois vêtue. Les sifflets vont bon train. Un coup, attente. Un coup, attente. Et encore un coup, attente. Au bout de trois, l'homme apparaît un fusil à la main.
Hé, mais c'est le papa qui m'a sauvé la vie ! Celui qui m'a fait mal avec ses doigts.
Chut ! Tais-toi donc...
Il te faudra longtemps, Elle, pour que tu te rappelles.
Il te faudra attendre pour que tu te souviennes de ta désespérance, cette enfance.
Sara Do
A Pétronille
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